La semaine passée, la France subissait une vague historique d’émeutes et de pillages, majoritairement en provenance de populations issues de l’immigration. Alors que les déprédations battaient leur plein, les compétiteurs stratégiques de la France ne se sont pas gênés pour souffler sur les braises. Des ingérences graves qui, pour le moment, n’ont pas entrainé de réaction diplomatique apparente du gouvernement.
Le 27 juin, le jeune Nahel est mort depuis 2 jours, abattu par la police après un refus d’obtempérer. La mort de ce garçon de 17 ans, d’origine algérienne, provoque alors une série d’émeutes qui commence à ravager les banlieues et les centres-villes français.
Le bled en embuscade
Le 29 juin, alors que les pillages s’intensifient, le ministère des Affaires étrangères algérien publie un communiqué dans lequel il se dit : « soucieux de la quiétude et de la sécurité » de ses ressortissants sur « leur terre d’accueil ». De plus, il indique « être aux côtés des membres de sa communauté nationale au moment de l’adversité et de l’épreuve ».
Compte tenu de la représentation de la diaspora algérienne – la plus conséquente du territoire français – dans les quartiers et cités « sensibles », ce communiqué constitue une grave ingérence. Alors que les symboles de l’État (mairies, commissariats, écoles) sont brûlés, que les infrastructures et la voirie sont dégradées, et les commerces pillés, cette déclaration algérienne fournie une légitimité officielle à ses ressortissants. Une manière de rappeler à Paris qu’Alger dispose d’un moyen de pression au cœur du territoire français.
Indépendamment de la gravité de la situation, cette position algérienne constitue un camouflet supplémentaire pour le président Emmanuel Macron. Ces derniers mois, ce dernier a axé de nombreux efforts pour initier un rapprochement avec l’Algérie et une normalisation des rapports. Une politique qui s’est soldée par plusieurs acrrochages diplomatiques ces derniers mois, des reports successifs de la visite du président Tebboune en France et, in fine, une tentative de déstabilisation. Après la volte-face de l’Algérie, avec la Russie et contre la France, dans le Sahel en 2021, l’hostilité structurelle de l’Algérie ne faisait guère de doute. D’autant plus que ces errements diplomatiques ont fortement dégradé l’alliance franco-marocaine. Cet épisode est, d’ailleurs, une bonne occasion pour la France de faire un pas vers Rabat, vieil allié, en marquant une distance nette avec l’Algérie.
Hostilité néo-ottomane
Dans le sillage d’Alger, Ankara – par la voie du président Erdogan – fait entendre sa voix. Celui-ci dénonce la « mentalité […] arrogante, inhumaine basée sur la suprématie de l’homme blanc » et le « passé colonial » de la France. Une posture ironique pour ce nostalgique de l’Empire ottoman. À noter que, finement, Recep Tayyip Erdoğan se désolidarise des émeutiers : « nous ne tolérons pas le pillage des magasins et les troubles urbains ne peuvent servir à réclamer justice ».
Face à des ingérences qui (…) menacent sa stabilité, la riposte française doit être à la mesure de l’offensive.
Comment expliquer la posture turque ? Car celle-ci diffère de l’Algérie. L’examen des éléments de langage semble moins s’adresser à sa diaspora qu’aux pays africains, en particulier les musulmans, de l’ère ex-coloniale française. Pour Ankara, l’Afrique est devenue un terrain d’expansion où elle se heurte directement aux intérêts français, notamment dans le Sahel, en Libye ou en République démocratique du Congo. Ankara y déploie une stratégie d’influence vigoureuse. En 2021, elle avait multiplié par 5 ses exportations d’armes sur le continent et noué plusieurs accords de coopération militaire. Sa société militaire privée, Sadat International Defence Consutancy, est devenue par truchement un acteur continental important, mais discret. Ankara y diffuse aussi son influence religieuse via l’Islam frériste.
En appuyant sur le passé colonial de la France, et en le reliant aux émeutes, le président Erdogan relie explicitement l’actualité aux narratifs et aux fausses informations qui nourrissent le sentiment anti-français en Afrique.
L’hypocrisie de la posture turque est d’autant plus évidente que le président Erdogan s’attaque aussi à l’islamophobie supposée de la France. Alors même que les Émirats arabes unis, pays musulman et proche allié de la France, luttent aux côtés de Paris contre la diffusion de l’islamisme dans ses déclinaisons fréristes ou wahabites.
À quand la riposte ?
Face à des ingérences qui menacent non seulement ses intérêts géostratégiques, mais aussi sa stabilité, la riposte française doit être à la mesure de l’offensive. Elle passe à moyen-terme par la rationalisation de la stratégie afro-méditerranéenne de la France : sujet qui mériterait plusieurs articles. Mais, à court-terme, Paris doit faire la démonstration de sa force.
Or, la France fait partie du club très fermé disposant de capacités de projection dans plusieurs dimensions (air et mer). Son armée est donc capable d’intervenir à peu près partout, et cela, sur l’ensemble du spectre des missions militaires. Ces capacités permettent d’obtenir des effets directs en termes de politique étrangère, qui vont de la coopération à la confrontation armée en passant par l’humanitaire. C’est ce que l’on appelle la diplomatie aérienne ou navale. Par exemple, l’intervention d’un bâtiment de projection et de commandement après l’explosion du port de Beyrouth en 2020 ou bien l’évacuation de civils étrangers, cette année, au Soudan, participe de la diplomatie navale et aérienne. Dans un registre plus coercitif, l’intervention en 2020 du groupe aéronaval Charles de Gaulle, en Méditerranée orientale, pour répondre au ciblage d’une frégate française par un bâtiment de guerre turque, est une démonstration de force constitutive d’une diplomatie via des moyens militaires.
Compte tenu de la gravité de la situation, le gouvernement pourrait envisager le déploiement du Charles de Gaulle dans les eaux internationales limitrophes des eaux algériennes ou turques. Le message envoyé serait clair. Via la base de Solenzara, qui avait servi lors de l’opération Harmattan en Libye, des avions de combat Rafale pourraient aussi longer les eaux territoriales algériennes. Un « surge » maritime et aérien provisoire pourrait aussi être envisagé en mer Egée ou dans la Zone Économique Exclusive (ZEE) chypriote, afin de réassurer nos alliés grecs face aux provocations turques. D’autres options de type « déni plausible » pourraient être envisagées si la France investissait plus dans ce domaine : via, par exemple, le déploiement de flottilles de pêches dans les ZEE, ou encore l’usage de sociétés militaires privées rompues aux opérations d’influence.
On ne citera pas toute la gamme classique de rétorsion comme la limitation des visas, le rappel des ambassadeurs, les déclarations officielles, voire les opérations de contre-ingérence et d’influence dans le champ informationnel.