Alors que la montée en puissance industrielle du pays s’affirme notamment dans les domaines agricole et minier, l’activisme ivoirien a été particulièrement notable dans la filière cacao ces dernières semaines, comme en témoigne le bras de fer qui oppose le gouvernement aux majors mondiales du chocolat.
Au-delà de la hausse des rendements, la politique industrielle de la Côte d’Ivoire est tournée vers la transformation industrielle, qui doit permettre à l’économie ivoirienne de sortir de sa rente agricole afin de mieux résister à la fluctuation des cours mondiaux. En toute logique, le Président Ouattara ambitionne de faire passer un nouveau palier au secteur agro-alimentaire national, qui a permis au pays d’intégrer la catégorie des pays émergents en 2020. Seul vrai pays émergent d’Afrique de l’Ouest, et doté d’une croissance toujours robuste malgré la pandémie, La Côte d’Ivoire a réussi à maintenir cette tendance sans rente minière ni pétrolière. Une rareté en Afrique.
Le gouvernement semble pourtant déterminé à dynamiser son secteur minier, afin qu’il vienne doper l’économie nationale. Dans un même esprit de diversification, le gouvernement ivoirien souhaite développer d’autres secteurs tels que les textiles ou l’industrie pharmaceutique, mais avec plus de difficultés.
Transformation industrielle
Le secteur agricole tient une place historiquement privilégiée dans les performances économiques du pays (cacao, anacarde, coton, mangue, ananas…) : c’est le fameux « miracle ivoirien » de l’ère du Président Houphouët-Boigny (1960-1993). Mais la fluctuation des cours mondiaux et les désordres liés à la guerre civile affaiblirent considérablement l’économie, dépendante de cette rente agricole.
Le Plan national d’investissement agricole (2012-2016) fut la première initiative gouvernementale destinée à redynamiser le secteur et à lui donner plus de résilience. Doté d’un budget de 816 milliards FCFA (1,25 milliard d’euros), il prévoit des subventions à l’exportation et des réductions de taxes (-5%) de sortie du territoire pour les produits transformés (notamment le cacao). On note donc la volonté, dès l’origine, de coupler la dynamisation de la production (destinée à l’export) tout en favorisant les initiatives industrielles liées à la transformation. Les progrès sont nets, la filière cacao étant passée de 5,3% à 6,5 % de croissance entre 2012 et 2016. Même constat pour l’anacarde, dont le pays est le premier producteur mondial, qui gagne deux points de croissance (29% à 31%) dans l’intervalle.
Encore plus ambitieux, avec 4325,4 milliards FCFA d’investissements, le second PNIA (2017-2022) vise la constitution d’agropoles territoriaux, le développement de la formation et des techniques de transformation (spécialement sylviculture et secteur halieutique). L’objectif est, in fine, d’atteindre un taux de croissance annuel du volume de production de 7,5% dans toutes les filières.
Le cas particulier de l’or brun
Malgré des classements appréciables concernant la culture de l’anacarde, de la mangue ou du coton, la production emblématique de la Côte d’Ivoire demeure le cacao. Le pays, qui fournit près de 40% des exportations mondiales, est aussi le premier broyeur mondial (35% de sa production locale). L’objectif du gouvernement est de porter à 100% de la production locale la transformation semi-finie de la fève de cacao à l’horizon 2025. La construction de deux complexes industriels (Abidjan Pk 24 et San Pedro) en 2020 participe de cet objectif. De quoi permettre à la Côte d’Ivoire d’acquérir une influence majeure sur le marché mondial du cacao, avec un impact direct sur le secteur de la confiserie.
Réaction des majors du cacao
Ceci n’est pas passé inaperçu auprès des majors mondiales du cacao (notamment Mars et Hershey), négociants comme confiseurs. Et c’est à ce titre que l’on peut interpréter la volonté de ces multinationales de contourner le différentiel de revenu décent (DRD) : un prix plancher qui garantit un niveau de vie et d’investissement productif minimum pour les petits producteurs. Ces majors prétextent la baisse de la consommation mondiale, du fait de la pandémie de Covid-19, pour expliquer la diminution de leurs achats. Ces multinationales ont pourtant tenté de contourner les producteurs ivoiriens en changeant l’origine de leurs importations, ce qui s’apparente à une volonté de privilégier des fournisseurs moins tentés de contrôler les prix plancher du marché.
Les autorités de Côte d’Ivoire, rejointes par le Ghana, ne se sont cependant pas laissé intimider. À eux deux, ces pays, qui représentent près de 60% de la production mondiale de cacao, ont serré leurs rangs face aux injonctions de multinationales. Une première sur un marché aussi lucratif que le chocolat (100 milliards de dollars).
Face à ce bras de fer, la Côte d’Ivoire est plus que jamais déterminée à stimuler son outil de production. En dehors de l’incrémentation de ses capacités industrielles, le gouvernement encourage la petite transformation chocolatière, à destination de son marché local qui connaît une certaine expansion. Par ailleurs, le Président Ouattara a récemment acté l’ouverture d’une antenne commerciale pour l’Asie du Sud-Est (en Chine), afin d’y déployer des négociants internationaux ivoiriens. Cet activisme témoigne, avec un certain fracas médiatique, de la volonté ivoirienne de commencer à compter sur les marchés mondiaux. Quelles qu’en soient les conséquences, cet évènement peut être vu comme un petit tournant géopolitique pour la Côte d’Ivoire et par ricochet, pour l’Afrique de l’Ouest.