Mises à mal depuis des mois, voire des années, les relations entre Paris et Rabat sont en phase de dégel. L’arrestation récente à Casablanca d’un narcotrafiquant marseillais, fruit d’une collaboration policière franco-marocaine, est l’épiphénomène médiatique de cette embellie. En parallèle, d’autres actions sécuritaires et militaires sont menées entre les deux pays.
Félix Bingui était recherché depuis longtemps par la police française. Chef du gang Yoda, célèbre groupe mafieux de narcotrafiquants de la cité phocéenne connus pour leur guerre de territoire avec la DZ Mafia, monsieur Bingui a finalement été interpellé par la police marocaine au terme d’une longue cavale. On estime que 35 homicides – sur 49 en 2023 à Marseille – auraient été directement causés par les rivalités sanglantes opposant les Yoda de Félix Bingui à la DZ Mafia, gang sous l’influence de la diaspora algérienne comme l’indique son nom.
Ayant fui dans le royaume chérifien il y a plusieurs mois, Félix Bingui s’y cachait des autorités françaises et faisait l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par un juge d’instruction marseillais pour « importation de stupéfiants en bande organisée, transport, détention, acquisition, cession de stupéfiants, association de malfaiteurs (…), blanchiment et non justification de ressources ». Son arrestation est un évènement de première importance pour la police nationale. Dans un communiqué cité par l’agence de presse marocaine MAP, la Direction générale de la sécurité nationale (DGSN) du Royaume s’est félicitée d’avoir participé à ce coup de filet, affirmant qu’un « ressortissant français faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par les autorités françaises pour des affaires liées à la constitution de réseaux criminels s’activant dans le trafic international de drogue » avait été appréhendé après une opération « visant à repérer et localiser tous les endroits où le prévenu pouvait trouver refuge dans plusieurs villes marocaines ».
La résilience d’une longue amitié diplomatique
Cette arrestation tombe en tout cas à point nommé pour sceller le réchauffement récent des relations franco-marocaines qui s’étaient dégradées ces dernières années. Comme pour avaliser cette nouvelle donne, Gérald Darmanin s’est d’ailleurs discrètement rendu à Rabat pour féliciter les autorités locales.
Certes, la coopération sécuritaire n’était pas non plus à l’arrêt et dès l’hiver 2023, on constatait des liens de collaboration. Ainsi, les 12 et 13 décembre, Frédéric Vaux, directeur général de la police nationale française, rendait visite, à Rabat, à Abdellatif Hammouchi, directeur général de la Sureté Nationale (DGSN) et de la Surveillance du territoire (DGST). Objectif de la réunion, selon le MAP, évoquer les opérations conjointes dans le cadre de la sécurisation des JO de 2024. Le communiqué du MAP évoquait aussi de discussions autour du « trafic de drogues et de psychotropes, l’immigration clandestine, la menace terroriste, les dangers de la cybercriminalité et la criminalité transnationale organisée ».
Dans la foulée, Nicolas Lerner, alors patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), se rendait lui aussi à Rabat pour deux visites de travail afin de renforcer la coopération sécuritaire entre les deux pays. Quelques jours plus tard, Nicolas Lerner était nommé à la tête de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Une nomination bien accueillie au Maroc et dont la presse locale s’est faite l’écho. Son prédécesseur, Bernard Emié, était en effet perçu sur place comme favorable à l’Algérie, grande rivale de Rabat.
Pourtant, l’année 2023 constitue un point d’acmé de la brouille entre les deux pays, mais, vaille que vaille, la coopération judiciaire se poursuit ; avec notamment l’extradition depuis le Maroc vers la France de deux importants narcotrafiquants. En outre, les canaux d’échanges entre les services de renseignement des deux pays restent en place : même si ce genre d’interactions par-delà les crises politiques est courante dans le monde du renseignement.
Sur le plan militaire, la brouille ne semble pas non plus éroder le partenariat qui unit les deux pays depuis les années 1990. Ainsi, au mois de mars 2023, la presse marocaine se fait l’écho de la visite du général Colcombet, qui dirige la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), au Maroc. Selon l’ambassade de France, « il a pu conduire des entretiens riches avec plusieurs partenaires marocains de la coopération de sécurité et de défense ». Quelques mois plus tard, du 24 novembre au 3 décembre, se tient l’exercice maritime annuel Chebec entre la Marine nationale et la Marine royale du Maroc. Plus représentative, la commande, rendue publique au mois de juin, d’un lot de véhicules Sherpa, du groupe Arquus, dotés du système anti-aérien Mistral. À noter que si Rabat est une bonne cliente de l’industrie de défense française, on note une tendance à la diversification de ses approvisionnements militaires.
Coopération gagnant-gagnant
La coopération sécuritaire comporte de nombreux avantages pour Paris et Rabat. Du côté Marocain, elle assure une assistance technique pointue et une relation privilégiée avec un partenaire géopolitique de premier ordre. De son côté, Paris bénéficie avec le royaume Chérifien d’un allié influent en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel ainsi qu’un partenaire de renseignement fondamental dans la lutte anti-terroriste. Dans ce domaine, le Maroc a fait ses preuves et bénéficie d’une reconnaissance internationale. En témoigne la réunion interministérielle de la coalition anti-Daesh, réunie à Marrakech en mai 2022 qui entérinait de fait le Maroc comme partenaire anti-terroriste de référence sur le continent africain.
Ainsi, deux exemples récents ont illustré le savoir-faire des forces de l’ordre marocaines. En octobre 2023, des renseignements fournis par la Direction générale de la surveillance du territoire du Maroc ont permis d’arrêter un terroriste d’origine égyptienne et de nationalité allemande qui prévoyait de commettre un attentat sur le sol allemand. Appelé Tarik S.S, il résidait à Duisbourg et a été membre de DAECH en Syrie et en Irak. Il a pu être arrêté à temps grâce à des informations fournies par la DGST. En août de la même année, l’otage roumain Iulian Ghergut enlevé en 2015 au Burkina-Faso était retrouvé en grande partie par la collaboration entre la Roumanie et les autorités marocaines, officiellement saluée par Bucarest.
Ces informations se retrouvent d’ailleurs dans des sondages, puisque l’étude IFOP menée ce mois de mars en collaboration avec ELNET qui s’est penchée sur la perception de la menace terroriste par les Français, a montré que le Maroc était avec l’Egypte le seul pays musulman cité comme un des pays que la France devrait prendre pour modèle en « matière de lutte contre le terrorisme » par 3% des répondants. Un chiffre encore modeste mais significatif. De fait, les collaborations sécuritaires, qu’elles concernent le narcotrafic ou le terrorisme, peuvent être fructueuses entre l’Europe et le Maroc.