Les dernières semaines ont été marquées par un accroissement des tensions entre la France et l’Algérie. Elles manifestent clairement l’intention de l’Algérie de monter en puissance dans le règlement de la « Guerre du Sahel ». Plus, elles semblent s’articuler avec les actions russes dans la région. Avec comme point commun la volonté de s’y substituer à la France.
Le 06 octobre 2021, le ministre des Affaires étrangères algérien, Ramtame Lamamra, était reçu par le président du régime de transition malien à Bamako. La teneur de cette réunion visait explicitement à promouvoir la montée en puissance algérienne dans le pays au détriment de la France, explicitement ciblée comme puissance colonisatrice. Quelques semaines plus tard, le 06 novembre, le président Tebboune annonçait ne plus souhaiter coopérer avec la France.
Cet épisode intervient après un regain de tensions, ces dernières semaines, entre Paris et Alger. En effet, après avoir limité les accords de visa avec le pays, le président Macron, critiquait la rente mémorielle [anti-française] du régime algérien, destinée à camoufler les failles criantes de son système. En quelques mois, les deux pays semblent être passés du statut de partenaires à celui de rivaux.
La portée de ces évènements est d’autant plus forte qu’elle s’inscrit dans les tensions entre la France et le gouvernement malien, dont la fiabilité (politique, administrative et militaire) est remise publiquement en question par le président Macron. Cependant, la principale raison de ce différent semble être la proximité entre le régime de transition malien avec la Russie. Une situation que semble vouloir exploiter l’Algérie et dont Moscou serait le principal bénéficiaire.
Or, en plus de nuire aux intérêts français, cette alliance pourrait bien avoir pour effet d’accélérer la décomposition de la région en un bassin d’instabilité. Avec des conséquences funestes pour l’Europe en termes de trafics (notamment de stupéfiants) mais aussi d’émigration, compte-tenu de la natalité galopante du continent.
Conciliation avec la France
Depuis 2020, et jusqu’à l’été 2021, la France fournissait des efforts croissants afin de d’impliquer davantage l’Algérie dans la résolution du conflit. Une démarche jugée cohérente dans la mesure où l’Algérie est directement concernée par les évènements. De plus, l’Algérie dispose d’une des meilleures armées du continent, ainsi que d’une importante expérience en contre-guérilla. Elle avait en effet réussi à éradiquer presque entièrement la menace djihadiste de son sol au début des années 2000, entraînant le repli de ses groupes rebelles (principalement le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat- GSPC) vers… le Sahel.
L’avantage pour la France était double. Car elle parvenait à impliquer un acteur majeur de la région, tout en parvenant à soulager son dispositif sans céder la conduite des opérations. La situation semblait évoluer favorablement dans ce sens : dès novembre 2020, un amendement constitutionnel majeur, permettait à l’armée algérienne d’être projetée en dehors de son territoire. Plus tard, en mai 2021, le groupe Britannique Menas Associate, spécialisé en analyse de risques et renseignement d’affaire, révélait que l’armée française construisait une base pour l’armée algérienne. Le site serait situé à Hombori (Mopti), dans le centre-est du Mali, au cœur de la région des trois-frontières, zone d’opération et de recrutement principale de l’Etat Islamique au Grand Sahel (EIGS).
Affirmation régionale d’Alger
A partir de juin 2021, concomitamment à l’annonce de la reconfiguration de l’opération Barkhane, l’Algérie va montrer de plus en plus de signes concrets d’un réinvestissement dans le Sahel. Mais dans une perspective peu favorable à la France et sur fond de rapprochement avec la Russie.
Ainsi dès le 22 juin 2021, le Chef d’état-major de l’armée nationale populaire algérienne se déplace à Moscou, ainsi qu’une délégation d’officiers de marine. Cela quelques jours après une visite officieuse à Paris auprès du Général français Burkhard, futur chef d’état-major des armées (CEMA). A cette occasion, Saïd Chengriha réaffirme les liens entre la Russie et l’Algérie. Ainsi que la convergence de vue des deux pays sur les questions sahélo-sahariennes (dont le Mali et la question du Sahara occidental). Une intervention de l’Algérie au Mali y est même explicitement évoquée. Quelques jours plus tard, le 1er juillet, Saïd Chengriha est de retour en Russie pour finaliser un contrat d’armement d’une valeur de 7 milliards de dollars.
Héritage de la guerre froide, la Russie et l’Algérie sont des alliés proches. Et même si Moscou fournit plus de la moitié des équipements de l’armée nationale populaire (ANP), ce type de contrat de contrat-cadre n’est pas anodin. En diplomatie il annonce, ou confirme, presque toujours un alignement stratégique. Manifestement la France ne l’avait pas envisagé ainsi, probablement confiante dans le fait que Moscou et Alger s’opposaient sur le règlement du dossier Lybien.
Parallèlement, l’activisme diplomatique de l’Algérie s’intensifie tout l’été 2021 : conférence sur la sécurité dans le Sahel (10 au 12 Août), réunion informelle pour le règlement de la crise libyenne, et visite du ministre Lamamra à Bamako (25 Août).
La réactivation du CEMOC manifeste clairement la volonté du pays de se substituer aux outils mis en place sous l’égide de la France
De plus, selon Africa Intelligence, le général Chengriha chercherait depuis plusieurs mois à réactiver le comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC) et l’unité de fusion et de liaison (UFL), structures, créées en 2010 et réunissant l’Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger. Inopérantes, ces structures destinées à coordonner une réponse militaire, ainsi que le renseignement, face aux groupes armés terroristes (GAT) avait été marginalisée par l’opération Serval puis la mise en place du G5 Sahel et de sa force conjointe en 2014. Une situation qui avait motivé le repli diplomatique relatif de l’Algérie dans les affaires du Sahel. La réactivation du CEMOC manifeste alors clairement la volonté du pays de se substituer aux outils mis en place sous l’égide de la France. La démarche apparaît peu originale, voire contre-productive, et matérialise la faible vision opérative de l’Algérie, cette dernière en étant réduite à un discours décolonial pour légitimer son action.
Le tournant Russe
Paris semble rester relativement en retrait, malgré les signaux alarmants, jusqu’à la fin septembre 2021. Moment où le président Macron décide successivement de limiter les visas pour les ressortissants algériens et de critiquer la rente mémorielle utilisée comme moyen de contrôle politique par les élites algériennes. Il s’agit d’une attaque frontale qui cible explicitement les fondements du système algérien : l’exploitation du sentiment antifrançais et la soupape sociale de l’émigration (vers la France). En réaction, les autorités algériennes décidaient de fermer leur espace aérien aux avions de l’opération Barkhane : une mesure de coercition cohérente avec leur politique sahélienne ces derniers mois.
Ces mesures succèdent à un mois de crise diplomatique où le régime de transition Malien aurait décidé de faire appel à Wagner, société militaire privée russe, afin de pallier le retrait partiel des forces françaises du pays. Une décision vertement critiquée par la France et le G5 Sahel, malgré le démenti de la junte malienne. Les révélations faisaient état de contreparties pour les Russes, notamment l’exploitation de certaines mines d’or. Il semble par ailleurs opportun de souligner la rapidité et l’efficacité avec laquelle la Russie a remplacé la France auprès de la République centrafricaine, en utilisant le même procédé.
La France est en effet engagée dans une lutte d’influence contre la Russie dans le Sahel depuis près d’une décennie. Elle s’est jusqu’ici matérialisée par une guerre de l’information propageant des discours et des narratifs anti-français dans les populations locales (Mali, Centrafrique…), repris jusque dans la presse française. Déjà présente en Centrafrique et en Lybie, l’arrivée de Wagner -fourrier de la politique étrangère du Kremlin – au Mali fût pris comme une provocation de trop par l’Elysée. Notamment compte-tenu des soupçons autour du rôle de la Russie dans le coup d’Etat contre le président Keita en juillet 2020.
Or selon, les révélations du site Mondafrique, la France aurait appris que l’effort de guerre de Wagner au Mali serait financé par l’Algérie. Si les autorités d’Alger ont récemment démenti, l’annonce de manœuvres militaires russo-algériennes en Ossétie du Nord, inédites pour l’armée algérienne, plaide bien dans le sens d’une convergence des deux pays dans le Sahel. Un partenariat d’autant plus opportun pour l’Algérie, étant donné sa marge de manœuvre limitée dans la région.
Jeu d’alliances
L’Algérie semble donc vouloir choisir l’escalade aussi bien avec la France qu’avec le Maroc malgré les mains tendues
En tout état de cause, l’Algérie semble s’être alignée sur la Russie. Opposés en Lybie, les deux pays, historiquement proches, semblent avoir renouvelé leur entente. Probablement encouragés par le regain de tensions qui les opposent au Maroc – soutenu par les Etats-Unis et la France – sur le dossier du Sahara occidental. Si l’on rajoute à cette l’équation la rivalité structurelle de la France et de l’Algérie ; le choix de s’aligner sur la politique Russe apparaît comme naturel. L’Algérie semble donc vouloir choisir l’escalade aussi bien avec la France qu’avec le Maroc malgré les mains tendues. Au détriment d’une posture plus diplomatique qui donnerait à Alger plus de crédibilité dans le processus de sécurisation de la bande sahélo-saharienne. A noter cependant que le jeu russe pourrait évoluer, notamment dans sa relation avec le Maroc. La posture de Moscou évoluant au gré de ses besoins en ressources halieutiques [marocaines] et de la féroce compétition que lui livre le royaume chérifien dans l’industrie des phosphates.
Toutefois c’est la stratégie de la France qui pose question. Paris semble avoir clairement saboté ses atouts via son annonce, prématurée, de reconfiguration de son dispositif. En effet, si l’objectif a toujours été d’autonomiser la sécurité des pays du G5 Sahel, ces derniers (notamment Mali et Burkina-Faso), sont encore loin de disposer d’outils militaires fiables. Et les armées mauritaniennes et tchadiennes, malgré leurs qualités indéniables, n’ont pas [encore] les moyens de pallier les failles militaires et politiques béantes de leurs partenaires du G5 Sahel. Une réalité qu’avait rappelé Emmanuel Macron au micro de France Inter.
Cette reconfiguration de Barkhane est par ailleurs à rebours de la stratégie suivie jusqu’ici par la France dans le Sahel. En 2020, le président Macron et le général Lecointre (CEMA) revendiquaient l’action nécessaire de l’opération Barkhane, et cela dans un horizon de plusieurs années. Ce changement brusque, combiné à la volte-face de l’Algérie, semble donner l’impression que l’Elysée perd le contrôle de la situation.
Céder du terrain à des puissances de facto hostiles revient à leur laisser la gestion de ces menaces
In fine, c’est un appel d’air qui s’est finalement créé. Dans lequel se sont naturellement engouffrés Moscou et Alger. Les conséquences pourraient être graves pour la France. En effet l’opération Barkhane n’a rien d’humanitaire : elle est destinée à contenir l’instabilité de la région dont le chaos pourrait démultiplier les divers trafics ou les vagues migratoires à destination du Vieux-Continent. Céder du terrain à des puissances de facto hostiles revient à leur laisser la gestion de ces menaces. Et leur fournit donc, virtuellement, des moyens de pressions. L’arme démographique n’est pas nouvelle : la Turquie en fait d’ailleurs régulièrement l’usage afin de faire pression sur l’Union Européenne.
Face à ces défis, quelles sont les options de la France ? Le dispositif Barkhane est toujours en place et opérant : peut-être serait-il envisageable d’annuler sa reconfiguration ? En définitive il ne s’agirait que de revenir aux objectifs [récemment] fixés en janvier et juillet 2020 lors des sommets de Pau et de Nouakchott. Par ailleurs, la France compte encore des alliés fiables comme le Tchad, la Mauritanie ou le Maroc : une politique de fermeté à l’encontre de l’Algérie et de la Russie s’avère donc encore possible.