L’exploitation illégale de l’or joue un rôle méconnu mais indéniable dans la crise sécuritaire du Sahel. Un business sanglant qui profite aux groupes armés, djihadistes ou rebelles, de la région et trafiquants de tout poil.
Le Sahel est historiquement une voie de rencontres et de communications entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. On y exploite et y échange de l’or depuis le XIIIe siècle. Dans les années 2010, un nouveau filon d’or est découvert dans le Sahara et le Sahel. Cette découverte déclenche une nouvelle ruée vers l’or.
Depuis, l’orpaillage artisanal progresse partout : au Niger, au Tchad, au Mali, en Mauritanie, au Burkina-Faso, etc. Il se développe généralement en dehors de l’autorité des États : il est donc considéré par ceux-ci comme illégal, à quelques exceptions près comme la Mauritanie. Même si, souvent démunis, certains États sont contraints de tolérer le phénomène. Les orpailleurs sont aujourd’hui des millions : du sahel au golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Ghana, etc). Ils se rassemblent sur des sites comptant des dizaines de milliers de mineurs.
Cette activité génère plus de 2 milliards de dollars de revenus annuels, selon l’OCDE. De quoi attiser les convoitises malgré des conditions de travail difficiles et de lourds dégâts sur l’environnement. L’exploitation du minerai échappe au contrôle des États qui n’ont pas su endiguer le phénomène, à l’exception de la Mauritanie. Dans un contexte régional d’insécurité, les sites d’orpaillages sont des lieux de troubles publiques, de banditisme, voire d’attaques de groupes armés. De plus, l’or aggrave les tensions entre communautés ethniques. Un terreau sur lequel se développe le djihadisme.
L’or appelle les balles
À partir de 2015, les groupes armés, qu’ils soient djihadistes ou simplement rebelles, prennent progressivement le contrôle de sites au Mali, au Niger et au Burkina-Faso. Le phénomène est encore peu visible car : « les revenus liés à l’or sont à l’origine secondaires pour ces groupes qui tirent profits d’autres trafics [otages, armes, esclaves, stupéfiants, ndlr]. Il n’y a d’ailleurs pas à ma connaissance de séparations nettes entre les trafics. Les trafiquants d’or sont aussi dans d’autres filières. Même si à un moment donné, les autres trafics ont baissé au profit de l’or » explique François Haut, expert en criminologie et professeur à Paris II. Mais la situation évolue rapidement. Quelques années plus tard, c’est devenue une problématique centrale. Dés 2020, l’Armée Française commence d’ailleurs à constater son ampleur au Mali.
Le métal jaune semble déterminer, en partie, l’itinéraire d’expansion vers le sud des groupes armés
Selon les chercheurs Hervé Théry et Daniel Dory, le lien entre orpaillage et attaques terroristes est clair. En 2021, au nord-est du Burkina-Faso, ils observent une corrélation entre les zones de refuge des groupes armés, les sites d’orpaillage et la localisation des attaques. Et le phénomène se répète ailleurs. En automne 2022, le site d’orpaillage de Tamou, au Niger, est attaqué. Or l’enquête de la CNDH nigérienne laisse justement entendre qu’il y aurait un lien entre l’attaque et les djihadistes réfugiés dans le parc W.
La course à la mer
Du Burkina-Faso et du Niger, les groupes armés glissent peu à peu vers le sud. Tant et si bien que le métal jaune semble déterminer, en partie, l’itinéraire d’expansion vers le sud des groupes armés. De source de revenus secondaire, l’or est devenu une ressource stratégique. En 2022 et 2023, le nord du territoire béninois ( en Alibori et en Atacora) est la cible de plusieurs attaques. On remarque que ces attaques sont lancées à partir des parcs naturels de la Pendjari et du W : des zones forestières qui servent de refuges et de points de passage aux groupes armés. Par ailleurs, ces régions souffrent, elles aussi, de troubles intercommunautaires. Mieux : elles contiennent des gisements d’or.
Il en va de même dans le nord de la Côte d’Ivoire. Depuis, 2020, la région tri-frontalière (Côte d’Ivoire, Mali, Burkina-Faso), qui borde le parc naturel de la Comoé, est soumise à une augmentation de l’activité djihadiste : sur fond de trafics, d’orpaillage illégal et de rivalités ethniques.
Chaines de valeurs djihadistes
Il faut maintenant comprendre comment s’organise le trafic. Sans surprise, l’orpaillage nourrit le marché noir. Mais comment en profitent les groupes armés ? Les premières années, les revenus liés à l’orpaillage sont indirects. Les groupes monnayent la protection des sites, prélèvent des taxes religieuses — la Zakhat – et des droits de passage.
Les groupes armés ne se contentent plus de seulement convoyer ou protéger. Ils sont désormais passés à la métallurgie
Surtout, ils jouent un rôle d’escorte. En majorité, les groupes, armés et milices de la région, sont composées de nomades qui sillonnent la « bande sahélo-saharienne ». Ainsi différentes ethnies sahariennes comme les Maures, les Touaregs, les Peuls ou les Toubous jouent un rôle capital car : « ce sont des convoyeurs qui empruntent des routes historiques : les intermédiaires du trafic, et leurs réseaux, sont obligés de se fondre avec ces filières incontournables. Il est donc important de bien distinguer ces deux types d’acteurs » nous précise François Haut. À noter que dans ces ensembles communautaires, la porosité humaine entre trafiquants, rebelles et djihadistes est forte, interdisant toute catégorisation trop rigide des individus.
Progressivement, les groupes armés ne se contentent plus de seulement convoyer ou protéger. Ils sont désormais passés à la phase métallurgique et gèrent la « 1ʳᵉ fusion » du minerai. La bascule a été rapide car « : « les fonderies se multiplient sur tous les sites d’orpaillage illégaux. Il y a une vraie dynamique économique d’intégration de la chaine de valeurs. » révèle une source journalistique locale. L’une des principales installations se situe à Kidal. Elle est contrôlée par la Coordination des mouvements de l’Azawad, une alliance de groupes rebelles touaregs. Ailleurs, sur la frontière algéro-malienne, dans la localité de Tin Zaouten, les djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans contrôleraient aussi une fonderie et un site d’orpaillage.
La fonte des pépites est une étape cruciale. Produites par les orpailleurs, elles sont transformées dans les fonderies en lingots d’or brut appelés les « dorés ». Problème : la fusion rend intraçable l’origine du métal. Or la présence d’une fonderie signifie aussi souvent l’ouverture d’un comptoir de vente. Devenu négociants, les djihadistes écoulent ainsi leur production, qui se disperse ensuite, via le marché noir, en direction des places de négoce internationales.
Contrebande internationale
Dès lors, les réseaux de contrebandiers revendent l’or sur le marché mondial. Les principales places de négoce sont la Suisse ainsi que Dubaï, aux Émirats arabes unis. Une fois sur place, l’or est raffiné puis transformé et racheté dans le monde entier dont la France. Ces places de marchés ont été récemment critiquées pour l’insuffisance de vérification de l’origine de l’or racheté. Pour y remédier, la Suisse et Dubaï ont renforcé leurs normes de certification sur la provenance de l’or. Elles travaillent aussi à déployer des processus de traçabilité du minerai sur le terrain, comme le passeport géoforensique suisse ou bien les dispositifs d’intégration et de traçabilité de la chaine de valeur de l’entreprise émiratie, Primera Gold DRC, lancée en janvier 2023 au Congo-Kinshasa.
Les solutions de ce type contribuent à faire la chasse à l’or sale. Mais il n’en demeure pas moins que l’enjeu de la sécurité et de la gouvernance locale sera, in fine, déterminant. Or les États de la région ne parviennent pas à endiguer le trafic. En partie par manque de moyens, mais aussi par intérêt. Il faut réaliser que pour un dirigeant du Sahel, le trafic d’or constitue une source indirecte de financements publics et qu’il crée de l’activité économique. Ce qui explique pourquoi le plus gros comptoir régional de métallurgie et de vente d’or, régulier ou non, se situe… au cœur de Bamako au Mali. Plus frappant, en Mauritanie, si l’orpaillage est légalement encadré, la majorité de la production est finalement écoulée sur le marché noir à destination de Bamako ou de Kidal : « L’orpaillage génère un business très rentable. 25% de la production était rachetée par la banque de Mauritanie. Le reste était absorbé par les trafics. J’ai été personnellement impressionné par les quantités récupérées, puis vendues, par les orpailleurs » nous confirme ainsi Daniel Marini, ancien géologue au CNRS et directeur de la mine de Tasiast jusqu’en 2019.
Qui achète l’or ? Et qui fait l’intermédiaire avec les convoyeurs ? Plusieurs hypothèses existent et mêlent des acteurs étatiques locaux, des groupes miniers privés et des criminels internationaux. Selon les locaux, le réseau serait en partie organisé par des « familles de commerçants » installées dans les pays côtiers du golfe de Guinée. « Des liens assez clairs avec les trafics de la région ouest africaine ont été tracés avec les familles libanaises qui y sont installées. Sont-ils dans l’or ? C’est une autre histoire. Il est aussi clair que les États de la région ont des intéressements dans ces trafics. C’est une manne financière. Ils ne se contentent donc pas de fermer les yeux » abonde François Haut. Il s’agit donc d’une nébuleuse opaque. À ce stade, la responsabilité est surtout collective face à un trafic lucratif où, in fine, tout le monde est impliqué de près ou de loin.