Dans son rapport du premier trimestre de 2021, le Bureau Maritime Internationale notait une chute de 77% des actes de piraterie dans le golfe de Guinée. Cette baisse drastique est généralement attribuée à l’opération anti-piraterie nigériane, Deep Blue. Cependant s’il est très probable que cette opération ait contribué à limiter l’activité des pirates dans la région, son succès est à nuancer.
En 2020 dans le monde, le BMI recensait 90% des actes de pirateries dans le Golfe de Guinée, ce qui représente un coût de 818 millions de dollars pour l’Afrique de l’Ouest. Cette zone de 2.35 millions de kilomètres carrés de mer s’étend du Sénégal à l’Angola. Elle est devenue le centre névralgique de la piraterie suite au succès de l’opération Atalante, dans la corne de l’Afrique, menée par la France et l’Union Européenne en 2008.
Les abordages menés par les pirates visent d’ailleurs généralement à piller le pétrole pour le revendre au marché noir
Le golfe de Guinée concentre la plus importante réserve d’hydrocarbure du continent, d’où partent respectivement 13 % et 6 % du pétrole et du gaz européen. Par conséquent, c’est un corridor stratégique et la principale voie d’exportation de pétrole brut d’Afrique, avec un flux de vingt mille navires par an. Les abordages menés par les pirates visent d’ailleurs généralement à piller le pétrole pour le revendre au marché noir. Le 17 mai dernier, 234 compagnies appelaient donc le Nigéria à lutter plus efficacement contre la piraterie. En réponse, le Président Buhari lançait l’opération Deep Blue.
La réponse militaire
Afin d’éliminer la piraterie, un arsenal important a été déployé dans la ZEE et sur la côte. Ce programme de 195 millions de dollars est composé de 600 soldats spécialement entraînés, deux navires patrouilleurs, 17 vedettes d’intervention rapide, 2 avions de surveillance, 3 hélicoptères pour les opérations de recherche et de sauvetage, 4 drones Tekever et enfin 16 blindés devant patrouiller sur la côte.
Le delta du Niger étant la principale base de retrait des assaillants, le gouvernement nigérian a fait voter une loi anti-piraterie afin de renforcer le dispositif judiciaire. Une première dans la région.
La coopération régionale est de mise via des efforts coordonnés entre le Nigéria, le Bénin et le Togo. Il s’agit principalement de patrouilles communes et de partage de renseignement. Ces efforts sont par ailleurs appuyés par des forces occidentales ; les États-Unis, le Brésil, le Danemark et la France. Cette dernière est présente quasiment en permanence dans la zone depuis 1990 avec la mission Corymbe. Ce déploiement important de moyens aurait donc permis la baisse de la piraterie dans le golfe de Guinée. En effet, « La région du golfe de Guinée a enregistré 28 incidents de piraterie et de vol à main armée au cours des neuf premiers mois de 2021, contre 46 pour la même période en 2020« , indique le rapport du BMI. « Plus particulièrement, le Nigeria n’a signalé que quatre incidents au cours des neuf premiers mois de 2021, contre 17 en 2020 et 41 en 2018. »
Une baisse durable ?
Malgré, cette forte baisse, les marchandises qui entrent au Nigéria sont toujours soumises à l’assurance contre les risques de guerre. Suite au rapport du BMI, les autorités nigérianes ont demandé le retrait de cette obligation imposée par les assurances. Celle-ci entraîne un surcoût important et alimente ainsi l’inflation dans le pays. « Malgré ces progrès, l’IMB prévient que le risque pour les équipages reste élevé dans la région et que ces efforts doivent donc être maintenus. », précise cependant le rapport qui met en garde contre toute complaisance.
« C’est un effet de temps, c’est conjoncturel […] si vous regardez bien, il y a une influence de la météorologie qui est très nette »
Il apparait en effet que cette tendance, qui s’observe seulement sur trois mois, est à prendre avec précaution. « C’est un effet de temps, c’est conjoncturel […] si vous regardez bien, il y a une influence de la météorologie qui est très nette » nous décrypte le commandant Hugues Eudeline chercheur associé à l’Institut Thomas More et auteur de « Piraterie et violences maritimes connexes » (IFRI, 2012). « C’est un effet saisonnier, la saison des pluies a été beaucoup plus forte qu’habituellement empêchant probablement les pirates de sortir en haute mer». Le rapport trimestriel du BMI propose un graphique qui montre le nombre d’attaque en fonction du trimestre. Il est alors observable que les actes de pirateries sont en dents de scie avec une baisse qui intervient tous les ans à la même période suivie d’une forte remontée à partir de novembre et décembre. « Il est fort possible qu’il y ait une remontée au prochain trimestre » suppose le commandant Eudeline. En effet, « Si la piraterie est toujours tellement importante, c’est que les Nigérians ont refusé de faire ce qui a été fait dans l’océan Indien ». Alors que la Somalie a accepté les solutions proposées par les armateurs et les Etats des pavillons des navires de commerces concernés, les pays du golfe de Guinée « refusent les bâtiments de guerre des autres pays et ne veulent pas de sociétés militaires privées à bord. »
Malgré tout, les chiffres d’incidents sur la période décembre – septembre demeurent plus bas que d’habitude, quatre pour cette année contre dix-sept au Nigéria l’année dernière. L’opération Deep Blue a donc probablement permis une baisse de la piraterie au large du Nigéria. Mais une opération militaire ne réglera pas les causes structurelles de la piraterie dans le golfe de Guinée. Cette région demeure particulièrement pauvre avec un chômage de 33% au Nigéria où plus de 17 millions de personnes sont en insécurité alimentaire. Toutefois, le gouvernement Buhari est coutumier des effets d’annonces en déclarant plusieurs fois avoir vaincu Boko Haram dans la région du lac Tchad. En outre, RFI observait récemment une « baisse de la piraterie, mais une forte hausse de la pêche illégale, des trafics d’armes vers l’Europe mais également vers l’Afrique. »