Les heurts qui ont émaillé le passage du convois français au Niger fin novembre et la réaction rapide du président Bazoum pour sanctionner les manquements du gouvernement ont illustré la nouvelle force du partenariat franco – nigérien. En effet, ce pays occupe désormais une place de choix dans la stratégie française au Sahel.
C’est en avril 2018 que pour la première fois le Niger demande à la France d’intervenir sur son sol, raconte le général Blachon, ancien commandant de l’opération de Barkhane de 2018 à 2019. « Au même moment nous étions très engagés au Burkina, mais nous leur avons dit : on arrive ». Deux mois après, l’opération Aconit était lancée. C’est au cours de cette mission que le caporal-chef Blasco s’illustrera par son courage. Le général poursuit : « cette opération faite à leur demande fut une belle réussite et leur a permis de prendre confiance […] ils ont en été vraiment reconnaissant ».
C’est la détérioration des relations avec la junte malienne qui va pousser la France à se recentrer sur le Niger. En effet, si le putsch du 18 août 2020 est dans un premier temps vu comme un moyen de ramener de l’ordre au Mali, très vite la France réalise que rien ne change. Au contraire, peu à peu apparait dans le pays le spectre de Wagner, la société militaire privée russe. En juillet 2021, le président Macron annonce donc une réduction de Barkhane et son retrait du Mali pour se recentrer sur le Niger. « Niamey nous va très bien » affirme le général Blachon, « c’est une chose que j’ai demandé pendant trois ans et que je vois enfin aboutir. Nous perdions notre temps au nord, nous avons donc extrêmement bien fait de nous retirer à Niamey, cela suffit amplement pour éviter que tout ça [le Sahel] ne tombe ». En effet, le Niger offre deux avantages, l’un stratégique et l’autre purement politique.
Position stratégique du Niger
Malgré l’exemplarité de la gouvernance en Mauritanie, seul pays du G5 Sahel à avoir éradiqué la menace terroriste sur son sol, la position géographique du pays est marginale. Elle ne permet donc pas d’agir efficacement contre les groupes terroristes. Le Burkina Faso ne souhaite pas davantage d’aides de la France : il y a une volonté d’indépendance fidèle à l’héritage de Sankara. « Ils ne nous aiment pas beaucoup et ils essayent de se débrouiller seul », ce qui est tout à leur honneur, explique le général Blachon. Plus à l’Est, le Tchad est un appui solide dont l’engagement militaire au côté de la France, très opérationnel, est ancien. Paris n’hésitant pas à l’appuyer en retour, comme l’a illustré le bombardement des colonnes rebelles en février 2019.
Le Niger offre en effet une position géographique plus centrale vis-à-vis du Sahel et offre donc une plus grande souplesse opérationnelle.
Cependant, la mort d’Idriss Deby et la reprise en main brutale du pays par son fils Mahamat Deby inquiète Paris. L’opposition tchadienne est très virulente, le pouvoir est encore instable et pourrait vaciller. Il y a par ailleurs une sorte de schizophrénie à condamner un putsch au Mali et en soutenir un autre au Tchad. Même si la proximité entre la junte malienne et Moscou a pu jouer. Or, « La France doit garder un porte avion en Afrique » analyse Luc N…[1], cadre dirigeant d’un groupe de sécurité qui opère en Afrique. Se déplacer à Niamey permet donc d’effacer ce soutien affirmé mais politiquement gênant. C’est pourquoi l’état-major de Barkhane a été déplacé de N’Djamena à Niamey, dont le pôle aérien « très fortement musclé », selon les mots du Président Macron. Basés dans la capitale nigérienne, les aéronefs Mirages 2000 pourront, en moins de vingt minutes, être envoyés en soutien sur toute colonne en difficulté. Le Niger offre en effet une position géographique plus centrale vis-à-vis du Sahel et permet donc une plus grande souplesse opérationnelle.
Le nouveau dispositif indique comme axe principale la réaction rapide. Pour ce faire, les forces françaises resteront « en permanence en mesure d’intervenir rapidement au profit des forces alliées ou partenaires », notamment à partir du Niger. Ce pays doit affronter deux fronts. La menace la plus ancienne est celle de Boko Haram au sud dans la région du lac Tchad; l’EIGS est quant à lui plus actif dans la région des trois frontières. La France considère que Boko Haram est le problème du Nigeria qui possède une armée conséquente. Il s’agit donc principalement de contenir la menace terroriste au sud. L’objectif affirmé est de contenir la menace des groupes armées et d’éviter qu’ils ne descendent trop bas. « Au nord du Mali, on va laisser les maliens régler leur différend entre eux. Le vrai problème est désormais au Bénin, au Togo, au Ghana », décrypte le général Blachon. Le redéploiement des forces au Niger permet en outre de rappeler aux africains, que la France n’est pas là pour faire la guerre aux Touaregs, mais bien aux groupes terroristes. Comme l’a réaffirmé au forum de Dakar, le président Bazoum, la véritable menace est l’EIGS.
Le bon élève du Sahel
Contrairement au Tchad ou au Mali, le Niger fait figure de bon élève de la démocratie. Élu le 21 février 2021 avec 55,75% des voix et un taux de participation de 62,91 % (très élevé pour l’Afrique). Mohamed Bazoum est le successeur de l’ancien président Issoufou. L’élection s’est déroulée sans heurts importants, malgré des accusations de fraudes de l’opposition restées non démontrées, et a permis une vraie alternance. Cela est d’autant plus remarquable, que le président Bazoum est issu d’une ethnie ultra minoritaire, les Oulad Souleymane, principalement présente en Libye. C’est le premier président « blanc » du pays, il ne parle d’ailleurs pas les dialectes locaux. C’est non seulement le signe d’une démocratie qui fonctionne mais cela illustre par ailleurs les efforts déployés par les dirigeants du pays depuis des années pour réconcilier les Touaregs et les populations noires. Ainsi, les Touaregs sont associés depuis longtemps au pouvoir avec des ministères, certes pas forcément importants. Cette tendance semble avoir rencontré des oppositions puisque quelques jours après l’élection, une tentative de putsch était rapidement déjouée. La France a donc préféré se tourner vers un pays qui offre de vrais gages démocratiques et où la stabilité est plus assurée, tout en offrant un avantage géographique.
« Le Niger est plus fiable. […] les dirigeants sont plus corrects, intelligents et conscient des réalités. […] Ils n’ont pas, comme le Mali, cette espèce de morgue où il faut les aider, presque en demandant pardon. » affirme le général Blachon.
En outre, nous explique le général Blachon « A Bamako, il doit se déverser quelques milliards de dollars toutes les aides internationales mises bout à bout. […] La guerre peut donc durer 150 ans, tant qu’ils peuvent continuer leur business à Bamako, ça ne les dérange pas. Alors qu’à Niamey, il y a un peu de trafic mais ce n’est pas la même ampleur, la corruption n’est pas aussi systémique. ». Luc N…, nous indique toutefois que le président Bazoum a la réputation d’avoir été le coordinateur de certains trafics dans le nord du pays. Cependant il manifeste depuis son arrivée au pouvoir une volonté de lutter contre la corruption. À la suite de la crise malienne, le Niger fait figure de partenaire fiable. Les relations sont beaucoup plus cordiales. « Le Niger nous semble un partenaire plus honnête. Il n’a pas hésité à nous appeler au secours, il n’hésite pas à nous remercier publiquement et à le dire à son opinion ». Ce qui est d’autant plus risqué, comme l’a démontré l’affaire du convoi, le sentiment anti français est déjà bien installé dans la société. En outre, « Le Niger est plus fiable. […] les dirigeants sont plus corrects, intelligents et conscient des réalités. […] Ils n’ont pas, comme le Mali, cette espèce de morgue où il faut les aider, presque en demandant pardon. » affirme le général Blachon.
Ce redéploiement sur le Niger intervient dans un cadre de concurrence internationale sur le continent. Les Français ne sont pas seuls dans le pays. Les Américains, les Allemands, les Espagnols et les Turques sont aussi présents. Ces derniers sont par ailleurs de plus en influents. Ils se sont installés dans le pays en construisant des infrastructures, notamment l’aéroport de Niamey dont ils ont obtenu une longue concession. Désormais, le pays vend également de l’armement avec la vente de drones TB2 Baykar, mais également des véhicules blindés et l’avion de formation Hürkuş. Mais le Président Bazoum semble conscient du risque de cette influence grandissante. Luc N… explique ainsi que le président nigérien « voudrait éviter cette infiltration avec l’appui de la France. Il joue sur des équilibres, c’est un homme à poigne et aux positions plus tranchées que son prédécesseur. ». Il poursuit, « Bazoum est sur la même politique générale que le président Ghazouani ; il maintient son pays en faisant un certain nombre de concession, mais pas n’importe lesquelles. »
[1] Le prénom a été modifié