Alors que les opinions publiques en France et en Europe ont toujours les yeux rivés sur le Levant et l’Ukraine, la guerre civile soudanaise, débutée en avril, s’aggrave. De guerre civile, le Soudan glisse progressivement vers une guerre régionale par proxy.
Le Soudan va-t-il se transformer en poudrière régionale ? Après avoir laissé entrevoir de possibles pourparlers, le Sommet de l’autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), instance multilatérale le Corne de l’Afrique, qui s’est réuni les 9 et 10 décembre à Djibouti, éprouve finalement des difficultés à faire asseoir les belligérants à la table des négociations. Quelques jours plus tôt, les pourparlers de paix de Djeddah, à l’initiative des États-Unis et de l’Arabie Saoudite s’étaient terminés en queue de poisson.
Simultanément, les combats font rage entre l’armée régulière, dirigée par le Lieutenant-Général Abdel Fattah Abdelrahman Burhan et les Forces de Soutien Rapide (FSR), milice paramilitaire commandée par le Lieutenant-Général Mohamed Hamdan Dagalo, connu sous le nom de « Hemedti ». Les FRS progressent partout, dans le Darfour comme dans la capitale Karthoum. Récemment, les FRS auraient poussé leur avantage, pour la première fois, dans la région du Gedarif. Contraintes de se replier sur Port-Soudan, les FAS se trouvent dans une posture de plus en plus défensive même si la partie est encore loin d’être jouée : les belligérants peuvent en effet compter sur un investissement croissant de l’étranger dans le conflit. À ce stade, le conflit aurait déjà fait 12 000 morts et des millions de déplacés qui se ruent vers L’Égypte, l’Ethiopie et surtout le Tchad.
Le paradis des mercenaires
Alors que les pourparlers de paix piétinent, force est de constater l’implication croissante de forces extérieures au pays. De facto, ces ingérences sapent tous les efforts de médiation et de résolution de cette guerre.
Traditionnellement alliées, L’Égypte et les Émirats arabes unis soutiennent respectivement les FAS et les FRS. En mauvaise posture, l’armée soudanaise avait ainsi reçu des drones égyptiens de facture turque, comme le révélait en octobre le Financial Times. De leur côté, les FRS, outre l’appui des Émirats, ont reçu l’aide logistique du Maréchal Haftar en Lybie mais aussi celle du groupe Wagner, société militaire privée téléguidée par Moscou. Elles bénéficient aussi de l’afflux de mercenaires venus de tout le sahel occidental.
L’afflux de combattants et d’armement étranger transforme ainsi le pays en une grande arène où se confrontent de nombreux intérêts. Ainsi, le 12 décembre, le principal quotidien tunisien, Al Shourouk, publiait un article révélant la présence de mercenaires ukrainiens, azéris et iraniens aux côtés des FAS. Si cette information n’a pas été étayée par d’autres sources, l’engagement ukrainien et iranien au côté des FAS semble évident. Dès le mois de septembre, les forces spéciales ukrainiennes auraient ainsi mené des opérations dirigées contre les FRS, comme l’avait révélé une enquête de CNN.
Une opération orchestrée, sans nul doute, en réponse à l’engagement des russes auprès des FRS, transformant ainsi le pays en front secondaire de la guerre qui se mène en Europe. Si l’Ukraine n’a pas confirmé officiellement la présence de ses forces au Soudan, les révélations du Lviv Post, reprise par le quotidien Le Monde en novembre, paraissaient confirmer l’hypothèse de soldats ukrainiens au Soudan combattant les FRS mais aussi les mercenaires du groupe Wagner.
Alors que les États-Unis appellent à la désescalade, le conflit gagne en complexité et en gravité
En parallèle, la République islamique d’Iran, grande rivale des pays du golfe, en particulier des Émirats arabes unis, manifeste son intention de rentrer dans cette danse macabre. C’est en tout cas ce qu’il ressortait, il y a quelques jours, d’un article de la chaine de télévision [d’opposition] Iran International, révélant que Téhéran serait sur le point de vendre des drones à l’armée soudanienne. Là encore, malgré la rumeur grandissante sur les réseaux sociaux, aucune autre source n’est venue confirmer un armement des FAS par l’Iran.
Il n’en demeure pas moins que cette information est crédibilisée par le rapprochement, au début du mois d’octobre, entre le Soudan et l’Iran qui s’est traduite par une reprise de leurs relations diplomatiques. Avant leur rupture en 2016, Téhéran était déjà un fournisseur d’armes de premier plan pour Khartoum, alors sous embargo économique des États-Unis et de l’Europe. En retour, le Soudan jouait un rôle d’intermédiaire pour le transit de l’armement à destination du Hamas.
Le Sahel toujours vulnérable
Alors que les États-Unis appellent à la désescalade, le conflit gagne en complexité et en gravité. Récemment Washington a ainsi accusé les belligérants de se livrer à des exactions sur les civils et d’avoir commis des crimes de guerre. Les FRS en particulier sont épinglées, avec leurs milices alliées, pour s’être livrées à des massacres ethniques dans le Darfour ; de son côté l’armée soudanaise est accusée d’être resté passive face à ces tueries, selon les témoignages rapportés par l’ONG Médecin Sans Frontière a l’International Crisis Group.
La spirale des affrontements ethniques pourrait-elle affecter le Tchad ? Le pays reste neutre à ce stade. Mais le spectre de la guerre du Darfour est dans toutes les mémoires. Nul doute que si les tueries s’étendaient à d’autres populations que les Massalit – principalement ciblés-comme les Zagahwa, la situation pousserait probablement l’armée tchadienne à intervenir. La réaction en chaine à N’Djamena et dans tout le pays pourrait alors affaiblir le pays, considéré comme le dernier pivot de stabilité entre le Sahel occidental, la Lybie, le Nigeria, le Soudan et la Centrafrique. Les conséquences d’un effondrement seraient funestes pour toute la région et jusqu’en Europe.