Début juillet, le président Macky Sall annonçait qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat en 2024. Cette décision, prise dans un contexte d’émeutes, préserve la stabilité politique du pays. Mais l’opposition est-elle dans la même dynamique ? Car depuis, Ousmane Sonko, de nouveau inculpé depuis la fin du mois de juillet, a continué de menacer les institutions.
Le doute qui planait depuis des mois a été levé, le 3 juillet, par le président sénégalais. Il clôt du même coup le débat constitutionnel autour de la légalité d’un troisième mandat. Très polémique, la question avait mené, en avril 2023, à la création d’une coalition de l’opposition, le mouvement F24, qui s’opposait à cette perspective. Les émeutes, meurtrières, qui se déclenchent quelques semaines plus tard, en réaction à la condamnation d’Ousmane Sonko à deux ans de prison pour « corruption de mineur », témoignent là encore d’un rejet d’un nouveau mandat du président. À contrario, cette perspective semblait convenir aux partisans du président du Sénégal.
In fine, le président Macky Sall a décidé de s’en tenir à sa posture originelle : celle de ne pas se présenter à un 3e mandat. Le président aurait-il eu ses chances en 2024 ? Élu au 1ᵉʳ tour en 2019 et disposant d’une courte majorité absolue, il s’appuie sur un socle électoral solide. Mais, la percée de l’opposition lors des élections municipales et législatives de 2022 rajoute de l’incertitude. Il n’en demeure pas moins que ce choix du président est celui de la stabilité nationale. Car malgré les progrès économiques du pays, il est confronté à un faisceau de risques sécuritaires imbriqués entre eux.
Or, le jusqu’au-boutisme d’Ousmane Sonko et de son parti, le Pastef, pourrait bien jouer le rôle de boutefeu. Le 7 juillet, quelques jours après la démission du président Macky Sall, il continuait de souffler sur les braises en déclarant : « Il n’y aura pas d’élection dans ce pays, ou alors ce sera dans un chaos indescriptible si par des combines judiciaires le président Macky Sall voulait empêcher ma candidature ». Une déclaration qui remet de facto en cause l’indépendance des institutions judiciaires du pays, avec pour conséquence de radicaliser ses partisans.
Le spectre d’une insurrection
Depuis 2021, manifestations, heurts et émeutes meurtrières se sont multipliées dans le pays. En juin 2023, on déplore plusieurs dizaines de morts et de nombreux blessés. Les émeutes sont menées par les partisans d’Ousmane Sonko, fondateur du Pastef et maire de Zinguichor. Les forces de l’ordre sont critiquées pour un usage immodéré de la force, mais du côté du gouvernement, on craint une insurrection de nature politique. Pour rappel, au début de l’année 2023, Ousmane Sonko déclarait devant une foule de (jeunes) partisans : « Si Macky Sall ne recule pas, soit il nous tue, soit nous le tuons ». S’estimant victime d’un complot judiciaire, il appelait, en cas d’arrestation, le peuple sénégalais à se lever massivement pour en finir avec le régime de Macky Sall.
La combinaison d’une jeunesse pré-insurrectionnelle avec la poussée salafiste est donc un risque à envisager
Les émeutes de juin, ayant mobilisé l’armée, témoignent de la capacité du fondateur du Pastef à mobiliser une foule insurrectionnelle. Comment cet ancien haut-fonctionnaire, arrivé 3ᵉ au scrutin présidentiel de 2019, est parvenu en moins de quatre ans à devenir le meneur de l’opposition ? Influent sur les réseaux sociaux, et affichant une rhétorique populiste et anti-française, Ousmane Sonko a su capter progressivement un jeune vote, urbain et connecté. Surfant sur les frustrations d’une génération souvent diplômée, mais touchée par la pauvreté et un fort taux de chômage, il bénéficie d’une forte adhésion. Dans un pays dont la population est composée de 70% de moins de 35 ans, le potentiel de révolte civile est important. Ce que le maire de Ziguinchor semble avoir bien compris. On retrouve d’ailleurs ces ressorts sociaux-politique dans le reste du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.
La nouvelle arrestation d’Ousmane Sonko à la fin du mois de juillet, et immédiatement après la dissolution du Pastef, font aujourd’hui planer le risque d’un nouvel embrasement du pays. En remettant en cause l’indépendance de la justice, le leader du Pastef a, in fine, rendu périlleux toute judiciarisation de sa personne. Combinée avec ses appels à l’insurrection, la stabilité politique du pays est devenue aujourd’hui fragile.
Le péril islamiste
Connu pour son islam confrérique et traditionnel, irrigué par le soufisme, le Sénégal est resté longtemps préservé de l’expansion djihadiste au Sahel. Le pays est tout de même soumis à une expansion des doctrines salafistes depuis les années 1970. À partir des années 2010, cette croissance est régulièrement commentée par la presse nationale et internationale. En février 2018, le journal La Croix rapportait ainsi une étude parue dans le Timbuktu Institute- African Centre for Peace Studies. L’étude décrivait la stratégie de développement des salafistes auprès des couches jeunes et précaires de la population via les réseaux sociaux. Une approche jumelle de celle d’Ousmane Sonko. Ce dernier est par ailleurs accusé d’être proche des milieux salafistes, qu’il a fréquenté lors de ses études. Des soupçons de nature à accroitre la méfiance des pouvoirs publics et religieux vis-à-vis du leader du Pastef, notamment quand il appelle au soulèvement. À noter que ce dernier continue de nier une telle accointance et continue de se revendiquer de la confrérie Mouride. Fondée ou pas, cette accusation ne remet pas en question la tendance de fond. La combinaison d’une jeunesse pré-insurrectionnelle avec la poussée salafiste est donc un risque à envisager : surtout si les émeutes se poursuivent.
En parallèle, les forces de sécurité et l’armée sénégalaise redoutent maintenant l’importation de groupes armés djihadistes sur leur territoire, voire l’émergence de groupes natifs au pays. Une crainte nourrie par la progression des groupes du Sahel vers le golfe de Guinée et les vulnérabilités propres au pays. Si bien que l’armée renforce sa surveillance de ses territoires orientaux depuis quelques mois, et que le gouvernement s’attache à renforcer l’appareil sécuritaire national. Les territoires les plus vulnérables sont les régions de Tambacounda et de Kédougou, dans le sud-est du pays, à la frontière avec le Mali. Marquées par une forte pauvreté, peu d’infrastructures, une faible empreinte de l’État, ces régions sont en revanche dotées d’un sous-sol riche en or. L’orpaillage illégal y est développé et il nourrit le marché noir régional. De facto, ces régions rassemblent l’ensemble des conditions géographiques, sociales et économiques pour une métastase des groupes armés. Seul le climat ethnique apaisé du pays constitue un facteur de ralentissement pour les djihadistes. Le risque est pris très au sérieux par les autorités sénégalaises, d’autant plus compte tenu de la tendance des groupes armés à suivre la route de l’or. En tout état de cause, une insurrection affaiblirait le dispositif sécuritaire sénégalais et laisserait les coudées franches à ces groupes armés pour se développer.
Préserver la paix en Casamance
Depuis l’opération militaire de grande envergure, Nord Bigona 2022, l’an passé, le « conflit de Casamance» est rentré dans un processus de paix entre le gouvernement et les rebelles du MFDC. La région de Casamance, qui rassemble de nombreux dioulas, est la seule à avoir connu un conflit de nature ethno-régionale dans le pays. Or, le travail de déconfliction n’est pas terminé et les efforts de l’État sénégalais pourraient pâtir du climat politique délétère du pays.
Par ailleurs, la Casamance est le fief électoral d’Ousmane Sonko, qui y est arrivé en tête lors du scrutin présidentiel de 2019. Sa mairie, Ziguinchor, en est la capitale régionale. Il y dispose d’une forte popularité. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer ses liens avec les rebelles de MFDC. Des soupçons partagés par la Délégation générale au renseignement national (DRN). Ces liens ne sont pas avérés, mais ils renforcent, là encore, la méfiance des autorités. De plus, s’ils étaient avérés, ils constitueraient un risque de ré-embrasement de la rébellion, dans un contexte insurrectionnel à l’échelon national.
En définitive, quel que soit l’avis que l’on puisse avoir sur la légalité d’un 3ᵉ mandat, la polarisation importante du débat par l’opposition rendait de toute façon cette perspective dangereuse. La décision du président Macky Sall est donc une nouvelle positive pour le Sénégal. Car toute dégradation du climat politique donnerait plus de corps, et de probabilité, aux risques qui pèsent sur le pays. Cette prise de responsabilité du chef de l’État renforce son bilan sécuritaire et économique positif : il peut partir « par le haut ». C’est maintenant à Ousmane Sonko de remplir sa part du contrat et de revenir sur son discours populiste et ses méthodes ouvertement insurrectionnelles. Sans quoi le geste fort, et démocratique, du président Macky Sall pourrait ne pas suffire.