Depuis le début de l’année 2023, la vanille de Madagascar est en crise. Antananarivo peine à écouler sa production. Le gouvernement a décidé finalement de libéraliser le secteur au mois d’avril. Cette décision, effective depuis mi-mai, est le dénouement d’un affrontement politique et informationnel de plusieurs mois. Une polémique qui reflète par ailleurs les problématiques structurelles des économies africaines.
Le mercredi 13 avril, un marqueur fort retentit dans la ville de Sambava, sur la Côte de la vanille, dans le nord-est de la Grande-Ile. Le président Andry Rajoelina vient d’annoncer devant un parterre d’exportateurs et de planteurs la libéralisation du marché de la vanille. Pour ces derniers, ainsi que les importateurs internationaux, c’est un soulagement. C’est aussi la fin d’un long bras de fer. Depuis des mois, les ventes de gousses de « vanille préparée » étaient en chute libre. Au mois de mars, à peine 600 tonnes avaient été vendues ; contre près de 3 000, à la même période, lors de la campagne 2021-2022. La baisse des exportations de vanille provoque une diminution du volume des devises à rapatrier, avec un impact fort, et à la baisse, sur la devise nationale.
Genèse de la crise
Comment la filière de la « vanille bourbon » s’est-elle retrouvée paralysée ? En 2019, le ministère de l’Industrie et du commerce malgache impose un prix-plancher de 250 dollars pour un kilo de vanille préparée, toutes gammes confondues. Le prix est considéré comme prohibitif par les importateurs. Ceux-ci estiment le marché autour de 100 à 180 dollars : des prix en vigueur dans des pays comme l’Indonésie ou l’Ouganda qui produisent une vanille de qualité similaire. Seulement, Madagascar fournie près de 80% de la production mondiale… .
De facto, le tarif officiel est contourné par la majorité des exportateurs agréés de la Grande-Ile. La situation n’en pèse pas moins sur les ventes. Et d’année en année, les invendus s’accumulent dans les stocks malgaches : comme l’observe Aust & Hachmann Canada, référence mondiale du négoce de Vanille.
Les records de production, et de vente, de la campagne 2021/2022 changent la donne. Les importateurs se constituent alors des stocks importants. Mais brusquement, à l’automne 2022, le gouvernement malgache et le Conseil National de la Vanille (CNV) resserrent leur contrôle. Le prix-plancher ne doit plus être contourné. Antananarivo vient de briser le fragile statuquo.
La réponse des importateurs, majoritairement français et américains, ne tarde pas. Forts de leurs stocks, ils jouent la montre et ne financent pas la « pré-campagne » des exportateurs. En d’autres termes, ils n’achètent plus de vanille et la chaîne d’approvisionnement est bloquée.
Guerre de l’information
Dès le mois de janvier, les ventes atteignent un minima critique : seule une centaine de tonnes sont vendues, dix fois moins que l’année précédente. La situation sociale devient tendue dans le nord-est où des dizaines de milliers de foyers de producteurs sont incapables d’écouler leurs gousses. Pour les Occidentaux, la vanille est une épice de prestige mais pour Madagascar, c’est une filière stratégique qui pèse pour 5% de son PIB.
La guerre de l’information entre les défenseurs du prix-plancher et les importateurs commence, chacun tentant d’imposer son narratif de la situation. La presse malgache, proche des milieux d’affaires, se mue alors en arène sémantique où les éléments de langage des différentes parties prenantes vont s’affronter pendant de longs mois. Le gouvernement malgache, lui, tente de temporiser, incitant les exportateurs à tout de même acheter la vanille aux producteurs. En parallèle, les importateurs français et américains s’activent auprès de leurs chancelleries respectives pour recevoir leur appui.
Mais au fil des semaines la pression sur les importateurs s’intensifie : ainsi, au début du mois de mars, une partie de la presse malgache, mais aussi des médias français comme FranceInfo, relayent l’ouverture d’une enquête sur une potentielle entente illicite entre plusieurs grands groupes étrangers pour limiter le prix d’achat de la vanille en provenance de Madagascar.
Un climat d’hostilité contre les importateurs étrangers, des tensions chez les producteurs et les exportateurs malgaches… . Le gouvernement tranche à la fin du mois de mars, ouvrant la possibilité d’en finir avec le prix-plancher à 250$.
Chose à noter : certains médias, comme l’Express de Madagascar, détenu par le ministre de l’Industrie et du commerce Edgard Razafindravahy, vont continuer, pendant plusieurs jours, à défendre la pertinence du prix-plancher.
La libéralisation du marché est un petit séisme dans l’organisation de la filière
Après des jours de négociations, et un premier accord éphémère, les exportateurs finissent par obtenir la libéralisation. En conséquence de quoi, au mois d’avril, le prix-plancher est abandonné. Plus significatif encore, l’accès aux agréments -ou licences- d’exportations est élargi et simplifié.
Rétrospectivement, c’est bien la montée des tensions sociales et des manifestations dans le nord du pays qui a poussé le gouvernement malgache d’Andry Rajoelina à changer de posture. Car face au risque de violences, les autorités durent alors imposer des solutions – pour la libéralisation du secteur – au nez et à la barbe des différents intérêts politico-économico-médiatiques qui s’affrontaient par journaux interposés depuis des mois.
En coulisses, des luttes d’intérêts
Ainsi, la libéralisation du marché est un petit séisme dans l’organisation de la filière. Pourtant, le gouvernement n’a fait que suivre une recommandation quasi généralisée. Dès 2021, des planteurs demandent l’abrogation du prix-plancher et l’ouverture de l’export aux petits opérateurs. À l’international, la libéralisation du marché est recommandée non seulement par les importateurs, mais aussi par la Southern African Development Community (SADC), le FMI et la Banque Mondiale. En octobre 2019, cette dernière préconisait déjà, à l’encontre de Madagascar, « la réduction des barrières à l’entrée sur les principaux marchés d’exportation ».
Selon Africa Intelligence, la concentration du secteur de l’export est en partie due au fonctionnement de ce fameux « Conseil national de la Vanille ». Outre l’application du prix-plancher, l’instance publique-privé contrôle aussi la délivrance des licences d’exportations. Or, depuis sa création en 2020, le nombre d’agréments délivrés aurait largement chuté, et ce n’est probablement pas un hasard, au détriment d’acteurs historiques du secteur et au bénéfice de nouveaux acteurs. Ces derniers furent probablement bénéficiaires du maintien du prix-plancher, calibré pour leurs besoins d’exploitation ou commerciaux. Et certainement confiants dans leur capacité à remporter le bras de fer contre les importateurs.
L’Afrique et le « mal hollandais »
La polémique de la vanille-bourbon est symptomatique des rapports conflictuels entre les dirigeants africains et les opérateurs économiques internationaux. La majorité des économies du continent sont constituées de rentes d’exportations autour d’un nombre réduit de produits de base, généralement miniers, hydrocarbures ou agricoles. C’est le cas du Nigeria, de l’Angola ou de l’Algérie pour les hydrocarbures, de la RDC pour le secteur miniers, de la Côte d’Ivoire pour le cacao, etc. Dès lors, elles sont soumises aux fluctuations des cours du marché mondial. Source de capitaux, ces rentes sont stratégiques pour ces pays, mais les placent dans une situation de dépendance.
Or, si certains opérateurs internationaux font parfois fi des difficultés internes des pays producteurs, il n’en demeure pas moins qu’ils sont aussi soumis à des problématiques de rentabilité. D’où leur réticence à accepter des prix décorrélés du marché. Si les entreprises ont effectivement des responsabilités sociales, les pays producteurs ont aussi le devoir de travailler à la diversification de leurs économies. La Côte d’Ivoire ou le Nigeria avancent dans ce sens. Le choix du gouvernement malgache de libéraliser le secteur de la vanille pourrait ; à son tour, être un jalon dans ce sens.